Une élève m'a dit hier avec une candeur un peu effrayante qu'elle voulait voir l'investiture, au cas où ce serait un nouveau Dallas 1963. C'est humain, mais je n'ai pu m'empêcher d'avoir un frisson superstitieux devant ce désir de catastrophes de trains.
Je suis un peu partagé sur tout le show cérémoniel et la liturgie messianique.
D'un côté, je suis plus obamaniaque que la moyenne et je crois même à un certain degré que l'événement ne fait pas que "remplir la prophétie de Martin Luther King Junior il y a 46 ans" comme CNN le répètait hier, mais qu'en un sens c'est encore plus large, c'est presque une promesse de la Modernité démocratique toute entière qui est réalisée, celle d'une démocratie où tout humain méritant pourrait accéder à n'importe quelle position quelle que soit la contingence de sa naissance.
Et cela m'agace qu'on veuille jouer à l'esprit fort et répéter des banalités (quatre personnes m'ont dit avec cet air profond de celui qui croit percer un secret occulte qu'il était quand même un Américain, comme si on croyait vraiment que le chef d'une puissance économique hégémonique allait incarner des intérêts supranationaux et le cosmopolitisme).
Mais en même temps, il commence parfois à y avoir du vrai dans les attaques conservatrices contre une héroïsation hystérique ou un Culte de la personnalité. Obama est un grand orateur (et le contraste est infini après un dyslexique si peu curieux), un homme politique brillant pour gagner le pouvoir et il est sans doute encore plus intelligent que ne l'étaient Adlai Stevenson, Nixon ou Clinton. Mais il est vrai que ses réalisations en dehors de sa victoire électorale sont inexistantes. Il est de bonne guerre d'endosser le costume de Lincoln et FDR (comme Clinton avait joué à JFK en 1993) mais cela semble parfois faire monter des attentes sur rien. La seule réussite actuelle est un cabinet plutôt respecté de brillants universitaires.
J'ai regardé le premier épisode de L'école du pouvoir, la fiction librement inspirée de figures de la Promotion Voltaire de l'ENA en 1980. Le roman à clefs est un peu dangereux et la fiction prend des airs bizarres de réalités alternatives comme on reconnaît des personnages réels superposés (y compris d'autres promotions antérieures) mais avec des actions très différentes.
Il y a cinq énarques principaux. L'avocat Abel Karnonski commence comme un idéaliste sans parti, vivant avec une étudiante marxiste de l'Université de Vincennes (elle fait une thèse gramscienne sur les corps idéologiques d'Etat). Les deux aristocrates devenus membres du corps de la Noblesse d'Etat, le donjuan Louis de Cigy et sa soeur, la très sérieuse Laure de Cigy seraient librement inspirés de Dominique Galouzeau de Villepin et de sa soeur Véronique. Matt Ribero est un fils d'ouvrier lorrain très pollard et militant hyper-rocardien et il serait surtout François Hollande (avec un peu plus de ressentiment social quand même mais toute la mollesse qu'on lui attribue depuis les années 90). Enfin, Caroline Séguier est la plus ambitieuse, mitterrandiste mais prête aux compromis réalistes, presque servile dans sa volonté d'avoir un bon classement (elle serait donc Ségolène Royal).
Le film commence par leur examen d'entrée où Matt a l'air le plus brillant. Ribero fonde un syndicat d'Enarques, l'ARENA, qui semble déjà aussi inefficace que le PS hollandiste en raison de ses hésitations.
Ils sont envoyés en stage : Louis de Cigy semble passer son temps surtout à coucher avec la femme de l'ambassadeur. Laure de Cigy va en Corse et se fait violer par des barbouzes terroristes anti-FLNC du S.A.C., et le préfet semble s'amuser de cette intimidation contre l'énarque en étouffant vite l'affaire, le personnage de Laure semblant fait pour représenter plus l'oppression phallocrate que son statut social privilégié [Sans vouloir être parano, je me demande si cette scène bizarre a vraiment un sens, surtout si on imagine que le réalisteur d'origine haïtienne Raoul Peck en voulait peut-être un peu à Véronique Albanel qui avait participé à l'éviction du président Aristide ??] Matt Ribero est en préfecture pour évoquer les derniers conflits dans le Larzac. Caroline Seguier est au Gabon et trouve une histoire incompréhensible sur Elf et le nucléaire qui ne sera pas vraiment éclaircie. Abel Karnonski est à la Mairie de Paris et va tenter de dénoncer des scandales HLM et des emplois fictifs 15 ans avant la lettre, avant que l'Ecole ne l'en empêche.
Le pouvoir giscardien finissant est représenté notamment par la fin de Vincennes mais la métaphore ne me paraît pas vraiment efficace pour symboliser les derniers feux du gauchisme radical post-mai-soixante-huitard. La femme d'Abel est hélas aussi peu intéressante que le personnage de la plus radicale Giulia (qui, elle, passe aux Brigades rouges) dans La meglio gioventù, et elle finira en se tuant le soir du 10 mai 1981 - comme la syndicaliste chrétienne Jeanne dans Je t'ai dans la peau.
Bien sûr, le film ajoute des intrigues sentimentales. Laure de Cigy tombe amoureuse d'Abel Karnonski. Caroline Séguier préfère en fait le bouillant chiraquien Louis de Cigy, qui joue avec elle en attendant un meilleur parti digne de sa condition, mais elle finira par se résigner au plus accessible Matt Ribero une fois qu'il aura abjuré son rocardisme - on ne peut s'empêcher d'avoir de la peine pour Hollande, l'un des plus ridiculisés, surtout que Louis de Cigy, contrairement au Villepin réel, sort brillamment au troisième rang, juste devant Ribero.
Karnonski et Laure de Cigy refuseront les grands Corps auxquels leurs rangs leur donneraient droit et sacrifieront leur carrière au nom de la mystique du service de l'Etat. Ni Louis de Cigy ni le couple Ribero-Séguier (Séguier est montrée comme un peu plus bas dans le classement, mais loin devant la Royal réelle) ne feront cette erreur. Mais tout le classement apparaît comme assez arbitraire - ce qu'illustre peut-être ce rang "par naissance" de Louis de Cigy, Laure de Cigy étant rétrogradée pour ne pas lui faire de l'ombre.
Quand je voyais des fictions britanniques sur le Thatcherisme, je regrettais que nous ne fassions pas plus de telles histoires mais je continue à être peu habitué à la violence d'un récit imaginaire qui vise en même temps des personnes réelles. La reconstitution semble parfois une fable presque trop prévisible : Ribero est lorrain pour qu'on puisse parler de la déception de la Sidérurgie sous Fabius.
8 commentaires:
Je ne vais pas écrire un commentaire à chaque fois, mais merci pour vos derniers posts, tous plus excellents les uns que les autres.
A propos de Marie-Ségo, elle nous a encore beaucoup fait rire aujourd'hui avec ses déclarations à l'envoyé spécial du Monde...
> Markss
Merci beaucoup !
> Samuel
Elle a vraiment dit qu'Obama s'était inspiré de sa campagne ? Cela dit, j'avais entendu un sarkozyste (Lefebvre ?) dire la même chose pour leur WebTV (alors que le modèle est bien sûr Howard Dean).
Finalement, il paraît que c'était de l'humour. Elle nous prend vraiment pour des c***.
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