mardi 3 mars 2009

Stocker des résidus du hasard



Robin Laws dit que pour gagner du temps en cours de jeu de rôle, il tire tous les jets par un logiciel (random.org) à l'avance et les coche ensuite dans l'ordre (un peu comme il conseille d'avoir des listes de PNJ pour les PNJ à improviser pour que les joueurs ne se rendent pas compte de la différence entre PNJ importants et PNJ anonymes). En dehors de ce gain de temps, cela ne change bien entendu rien en réalité (si du moins il est soigneux et évite de cocher ou "dépenser" intentionnellement de mauvais jets comme on peut faire dans les jeux où des cartes remplacent les dés) mais j'ai pourtant une intuition tenace et absurde que cela gâcherait un peu du frisson de l'événement de révéler un coup de dé déjà tiré.

Il y a un élément dramatique quand le dé roule (même quand on le fait rouler sans que le résultat soit connu, derrière le paravent du Narrateur, ou en corrigeant le résultat comme j'ai trop tendance à le faire pour sauver mes joueurs et éviter les "Total Party Kills"). Il faut cette légère pause superstitieuse où on est tendu devant l'aléatoire. Un jeu avec dés pré-tirés commencerait à ressembler dans l'expérience à un jeu sans dé.

Cela n'a que peu à voir mais cela me fait penser aussi au Paradoxe de La Belle au Bois dormant popularisé par Adam Elga dans cet article d'Analysis, vol. 60, n°2, pp. 143-147 (2000), en un mélange qui ressemble à la fois à des problèmes de probabilité comme Monty Hall mais aussi de décision comme l'Examen Surprise ou le Paradoxe de Newcomb.

Le Belle va être endormie le Dimanche et on lui dit qu'on va tirer à pile ou face (avec une pièce équiprobable).

* Si c'est Face, on la réveille seulement Lundi et on lui pose le Problème sans lui dire le jour.

* Si c'est Pile, on la réveille Lundi, on lui pose le Problème sans lui dire le jour,
on la rendort en lui faisant oublier ce qui est arrivé le Lundi,
on la réveille le Mardi (elle ne sait pas si elle est Lundi ou Mardi) et on lui repose le même Problème.

Le Problème est le suivant : "sachant que vous ne savez pas à votre réveil si on est Lundi ou Mardi, quel est le degré de croyance que vous accordez au fait que le dé était tombé sur Face.

- Argument en faveur de 1/2 : Du point de vue de l'expérimentateur, la pièce avait bien 1 chance sur 2 de tomber sur Face.

- Argument en faveur de 1/3 : Pourtant, du point de la Belle au Bois dormant, elle ignore si elle a été éveillée le Lundi où c'était Face, le Lundi où c'était Pile ou bien le Mardi où c'était Pile. Donc elle devrait répondre 1/3.

Le paradoxe montre le divorce entre l'équiprobabilité dans l'indifférence de départ, la fréquence objective et le degré de croyance subjective portant sur les ramifications possibles. Selon la philosophie des probabilités adoptée, certains défendent soit la première solution (les "Halfers" comme on parle des "Smallboxers" pour Newcomb, on parle du "Demisme" en français), soit la seconde (le "Thirders", le "tierisme"), soit l'indécidabilité du problème.

Elga répondait que la réponse correcte était 1/3 (Tièrisme), et cela serait un argument en faveur de l'interprétation fréquentiste de la probabilité contre l'interprétation subjectiviste.

David K. Lewis, subjectiviste sur le Hasard (mais c'est un aspect de son système fondé sur la "Survenance Humienne" que je ne comprends pas bien par manque de connaissance sur la probabilité bayesienne, cf. Lewis, "Humean Supervenience Debugged" in Mind 103 p. 473-490, repris dans son Papers in metaphysics and epistemology, 1999 p. 224-247), a défendu la solution à 1/2 (Demisme) parce que seules de nouvelles informations (en fait evidence, quelle est la traduction standard ?) pertinentes peuvent produire un changement dans le degré de croyance subjective, or l'information que nous soyons Lundi dans un des deux cas ou Mardi n'est pas pertinente.

Le Paradoxe est raconté dans le dernier numéro de Philosophie magazine, et il y a en français une synthèse très claire et fascinante par Laurent Delabre, La Belle au bois dormant : débat autour d'un paradoxe (qui mentionne même les analogies avec des problèmes de Chats de Schrödinger et de mondes multiples d'Everett, ainsi qu'avec Argument de l'Apocalypse).

Elga a un autre paradoxe plus amusant, le problème du attitude de se du Docteur Evil, qui rappellera des choses aux fans de Spider-Man qui ont dû subir la Saga du Clone (où Peter Parker découvrit qu'il était lui-même le clone du vrai Parker).

Le Docteur Evil va lancer son plan quand il reçoit une lettre lui disant que les héros ont créé un double absolument similaire au Dr Evil, avec de faux souvenirs et qui croit être le Docteur Evil et qui croit qu'il va lancer son Plan.

La lettre lui dit que si le vrai Docteur Evil lance son plan, les héros tortureront le double. Maintenant, la question est "est-il rationnel pour le Docteur Evil de renoncer à son plan en se disant qu'il a 50% de chance de ne pas être celui qu'il croit être ?"

Et si les héros ont créé 999 clones indiscernables du Dr Evil, est-il rationnel pour le Dr Evil de penser qu'il a 99,9% de chance de ne pas être celui qu'il croit être ? Elga pense que oui dans les deux cas, par un principe d'indifférence.

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