vendredi 21 août 2009

Domination et Servitude (14/19)





« §14 Dans ces deux moments, c'est par une autre Conscience qu'advient au Maître le fait d'être reconnu ; cette autre Conscience s'y pose en effet comme quelque chose d'inessentiel, une première fois dans le travail sur la chose, une seconde fois dans la dépendance par rapport à une existence déterminée ; dans les deux moments, elle ne peut parvenir à la maîtrise de l'être, ni atteindre à la négation absolue. Nous sommes donc ici en présence de ce moment de la reconnaissance qui veut que l'autre Conscience s'abolisse comme être pour soi, et fasse par là, elle-même, ce que la première fait à son encontre. Et, pareillement, de cet autre moment, selon lequel cette activité du second est en même temps la propre activité du premier ; ce que le Serviteur fait, en effet, est à proprement parler l'activité du Maître ; c'est seulement pour lui qu'est l'être pour soi, l'essence ; c'est lui le pur pouvoir négatif, pour qui la chose n'est rien, et qui est donc, dans ce rapport, la pure activité essentielle ; tandis que le Serviteur est une activité qui n'est pas pure, mais inessentielle. Toutefois, il manque à la reconnaissance proprement dite le moment où le Maître ferait aussi à l'encontre de lui-même ce qu'il fait à l'encontre de l'autre, et où ce que le Serviteur fait à l'encontre de lui, il le ferait aussi à l'encontre de l'autre. Et c'est ce qui a fait naître une reconnaissance unilatérale. »


Le paragraphe explique la contradiction d'une "Reconnaissance" fondée sur la domination. Le Maître s'arroge tout le statut essentiel et le Serviteur y apparaît comme "l'inessentiel", mais le Maître n'accède à la Reconnaissance que par le Serviteur en tant que (1) il travaille la chose et (2) il est dépendant de la vie naturelle ("l'existence déterminée").

Mais on retire donc au Serviteur le caractère de "négation absolue" du donné.

La Reconnaissance n'est donc pas symétrique, elle est déséquilibrée. Le Serviteur agit en travaillant et reconnaît l'autre mais le Maître ne le reconnaît pas comme un être pour soi et une activité. Il reçoit la reconnaissance sans rien en retour. Mais en ce cas, s'il ne reconnaît pas aussi le Serviteur dans son autonomie, que lui importerait la reconnaissance de cet autre être ?

Ce qui manque donc à la Conscience du Maître, c'est une relation au Serviteur qui ne le réduise pas à un simple instrument afin qu'il puisse être l'intermédiaire de sa propre reconnaissance.

C'est là la contradiction de toute intersubjectivité, qu'on remarque notamment dans le cas de l'Amour plus encore que dans la Lutte ou la rivalité. Je traite l'autre comme un objet en m'affirmant mais en même temps je ne peux pas vouloir qu'il ne soit vraiment qu'un objet parmi d'autre car je n'aurais aucun intérêt à être estimé ou respecté par un simple objet. Je veux en une double contrainte qu'il m'obéisse absolument mais qu'il puisse le faire "librement".

Jean-Paul Sartre reprendra cette idée dans sa psychanalyse existentielle de l'instabilité de la Conscience dans l'amour, entre sadisme et masochisme, dans l'Être et le Néant, III, iii.

Dans The Servant (1963) de Joseph Losey (dans une adaptation par Harold Pinter du roman du Vicomte Robin Maugham, neveu de Somerset Maugham), Tony le Maître oisif devient dépendant et lié de manière ambiguë à son Majordome Hugo Barrett (Dirk Bogarde). Lorsqu'arrive la fiancée du Maître, Susan, qui méprise et jalouse le Valet, les rôles de Maître et Serviteur vont finir par s'inverser selon une ancienne "Saturnale" dramatique (l'auteur comique de l'Antiquité Ménandre ne fut-il pas l'un des premiers à dire, selon une formule reprise par l'orateur Libanios, que le Maître est "le seul Esclave de sa maisonnée", esclave de ses propriétés et responsabilités).

2 commentaires:

Anonyme a dit…
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