Les essayistes américains, à qui on ne saurait reprocher de manquer de sens du marketing, aiment bien vendre leurs idées en distinguant trois ou quatre phases dans leurs synthèses ou leurs prédictions. C'est souvent de la "triadomanie" comme chez le futurologue Alvin Toffler qui parlait en 1980 de la Troisième Vague des Révolutions globales (Révolution néolithique, Révolution industrielle, Révolution de l'Information) et certains ne cessent d'annoncer une Quatrième vague (biotech/nanotech).
Dans cet article, le journaliste-historien Michael Lind essaye de revendre son idée (pour confirmer une prédiction qu'il semble avoir déjà faite il y a 13 ans dans The The Next American Nation: The New Nationalism and the Fourth American Revolution) que l'Amérique vient de commencer sa IVe République.
Sa théorie est un peu a priori - il est rare de voir un Américain si allemand qu'il veut à tout prix faire coller l'effectivité à une déduction par concept.
Certes, on ne peut pas vraiment compter les Républiques de manière aussi discontinue qu'en France puisqu'il n'y a toujours qu'une seule Constitution sous le palimpseste des Amendements mais en gros, cela revient à cette opposition :
Les Fédéralistes d'Hamilton essayent de renforcer l'autorité étatique mais les Jeffersoniens tentent au contraire de décentraliser le pouvoir. Le compromis échoue sur la question de l'esclavage avec le Président Buchanan.
1er-12e Amendements.
Les Républicains de Lincoln abolissent l'esclavage, renforcent l'Etat fédéral mais les Démocrates populistes vont restaurer le compromis de la Ségrégation. La tension entre interventionnistes et libéraux échoue sur la Crise avec le Président Hoover.
13e-19e Amendements.
Les Démocrates de FDR puis de Johnson renforcent l'Etat fédéral, accomplissent le programme des Droits civiques mais les Républicains libéraux vont lutter contre les dérives de la discrimination positive et défaire ce début d'Etat-Providence. Le conservatisme religieux et les tensions internes du Parti républicain échouent avec le Président Bush.
20e-27e Amendements.
Nouvel essor du Parti démocrate rénové sur un nouveau compromis post-racial et une domination nette dans les centres urbains ? "Brasilianisation" (tiers-mondisation avec explosion des inégalités entre le Centile le plus aisé et les autres) ?
Je ne suis pas sûr que ce soit très vrai mais cela sonne relativement vraisemblable et presque suspect dans son harmonie de Psychohistoire où les Républiques auraient une durée de vie "naturelle" de 72 ans ou 18 mandats présidentiels (on remarque que les Amendements à la Constitution se réduisent aussi en importance).
Pour ne citer que quelques problèmes, je ne comprends pas bien pourquoi il veut que la rupture soit en 2004 et pas en 2008 si ce n'est parce qu'il tient à une sorte de biopolitico-rythme de 18 Olympiades (lui-même dit que ce n'est pas de l'astrologie mais il y a quand même quelque chose qui ressemble à ce qu'on appelle parfois des "taches solaires" dans son effrayante symmétrie).
Je soupçonne aussi que la démocratie jacksonienne n'entre pas entièrement dans le modèle de l'opposition traditionnelle Hamilton/Jefferson, et que la place des Républicains et Progressistes d'avant la Première Guerre mondiale n'est pas vraiment facile à faire entrer dans le tournant de la "Seconde République".
Un proverbe disait que la France était une "monarchie absolue tempérée par des chansons" et Fustel de Coulanges avait dit que la France mérovingienne était "tempérée par les assassinats" (Custines a repris la même plaisanterie pour l'autocratie tsariste, et j'ai vu aussi une attribution à Stendhal). Lind dit que la République américaine a eu plusieurs formes d'oligarchie et qu'elle avait atteint dans la Troisième république "la Ploutocratie tempérée par le tokenism".
Il reste à voir si Obama est vraiment comme dans ce modèle historiciste le Lincoln, le FDR de la Quatrième République ou bien seulement un autre Token "progressiste" de cette ploutocratie en réorganisation.
Add.
Rien à voir si ce n'est la "tétramanie", mais je viens seulement de remarquer qu'en France on parle du Quatrième Pouvoir (par référence aux trois pouvoirs de Montesquieu, législatif, exécutif, judiciaire) mais que les Américains renvoient, eux, à The Fourth Estate (le "Quart-Etat"), aux Etats-Généraux, et donc à l'idée d'une classe sociale et non d'un contre-pouvoir. Autrement dit, ils ne comprennent pas la blague de Sauvy sur le mot "Tiers-Monde" qu'il a créé par référence à Sieyès ("Il est Tout mais veut devenir Quelque chose") mais nous ne comprenons pas leur blague qui se sert pourtant de notre histoire !
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire