mercredi 2 janvier 2008

Chitralekha



Les mythologies ont généralement peu de personnages féminins héroïques (si on excepte quelques déesses comme Ishtar, Isis ou Athéna). Il y a bien Atalante et quelques Amazones comme Myrina chez les Grecs, quelques Walkyries comme Sigrún ou Brunehilde.

Mais grâce à une bande dessinée indienne publiée par Amar Chitra Katha, Aniruddha (dessins par Pratap Mulick), je découvre le personnage fabuleux de Chitralekha, une super-yogini.

Le roi Bana était un "Asura", un de ces Anti-Dieux ambigus qui peuvent être démoniaques ou divins. Il était fils du roi asura du sud, Mahabali (qui d'après une tradition finit aussi en Yogi vertueux malgré ses origines). Bana règnait sur Sonitapura, au nord-est de l'Inde et il avait mille bras. Il était dévoué au Dieu Shiva, qui lui avait promis que nul ne pourrait le vaincre tant que le Dieu tiendrait son drapeau. Bana est si plein d'audace qu'il dit qu'il s'ennuie à présent et qu'il est l'égal des dieux, ce qui conduit à une malédiction paradoxale de Shiva, qui compense sa bénédiction.

La fille de Bana, Usha (dont le nom semble évoquer celui de la déesse de l'Aurore, Ushas), a alors un songe où elle voit un bel inconnu. Elle se morfond alors d'amour pour cette apparition, mais sa confidente, la sage Chitralekha, fille d'un conseiller du roi Bana, décide de l'aider directement. Chitralekha peint alors tous les Dieux, Démons et Héros connus pour qu'Usha puisse reconnaître le portrait (le style de Chitralekha doit être vraiment photographique) et retrouve ainsi l'homme de ses rêves.

Il s'agit en fait d'Aniruddha, petit-fils du célèbre roi/dieu Krishna le Sombre.

Kṛṣṇa, Avatar du Dieu Vishnou, règne alors sur Dvaraka, à l'ouest de l'Inde. Il avait eu avec sa femme Rukmini, Avatar de la Déesse Lakshmi, plusieurs enfants dont le prince Pradyumna, Avatar de Kama l'Amour. Pradyumna avait vaincu le démon Sambara et épousé sa veuve, Māyādeví (Déesse d'Illusion). Pradyumna était le père d'Aniruddha.

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La sage Chitralekha se servit alors de sa magie pour voler jusqu'à la cité de Dvaraka. Elle enleva le Prince Aniruddha dans son sommeil et le ramena en volant jusqu'à la chambre d'Usha. Il "épousa en secret" (j'imagine que c'est une périphrase de la bd pour enfants pour des actes moins rituels) Usha. Aniruddha en vint à oublier son enlèvement, mais il fut surpris par Bana qui l'enferma prisonnier dans des liens de serpents.

Quand on lit le Mahābhārata on trouve parfois l'avatar Kṛṣṇa trop passif (surtout par rapport à d'autres incarnations plus martiales comme Rama) mais dans ce mythe extrait du Bhagavata Purana, Krishna lève alors une armée contre le démon Bana pour délivrer son petit-fils, avec l'aide de son frère Balarāma (Sańkarṣaṇa) et de Pradyumna. C'est une guerre épique puisque aux côtés de Banasura aux 1000 Bras marchent aussi le Dieu Shiva et son fils le Dieu de la Guerre Skanda / Kārttikeya. Comme on est clairement dans un mythe vishnuïste, l'avatar Krishna bat aisément les hordes et fléaux de Shiva, Skanda et le démon Bana aux Mille Bras (dont il en coupe 996). Ensuite, il pardonne à ce dernier (devenu le beau-père de son petit-fils Aniruddha) et lui offre l'immortalité, adoptant ainsi l'Asura dans sa famille, tout comme Pradyumna avait intégré la femme du démon Sambara.

En passant, si je me souviens bien des analyses de Georges Dumézil, l'opposition Asura-Devas peut aussi renvoyer en partie dans la souveraineté à l'opposition entre les Ases et les Vanes (qui finissent par se réconcilier par des mariages) chez les Scandinaves et non pas seulement l'opposition manichéenne entre Dieux et Géants.

Ce personnage de la sage Chitralekha joue d'ailleurs peut-être le même rôle ambigu que cette Māyādeví qui aide Pradyumna à vaincre son mari (comme Ariane aide Thésée à vaincre son frère le Minotaure et Médée aide Jason à vaincre son père Aiétès). Le soutien de la Grande Déesse et de la Shakti est nécessaire pour atteindre la souveraineté.

Ce petit mythe a eu des interprétations spéculatives complexes dans les exégèses vishnouïstes. Les quatre héros de la famille de Kṛṣṇa, Vasudeva (le père de Kṛṣṇa), Sańkarṣaṇa (Balarāma, son frère), Pradyumna et Aniruddha sont parfois interprétés respectivement comme l'Absolu, l'âme, l'intelligence et l'ego, mais les listes varient et je ne vois pas vraiment ce qui dans le mythe de l'enlèvement de Pradyumna puis celui d'Aniruddha vient soutenir cette sublime métaphysique des Hypostases et cette "noétique".

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Ils sont rares ceux qui peuvent exploiter de telles sources pour alimenter leur ludisme sans tomber dans la facétie. Je suis impressionné. Je ne connais rien au jeu de ce genre mais j'oserai vous demander, après vous avoir lu ici et là, si cela a à voir avec une thérapie spécifique ? Je vous pose cette question car j'imagine que les individus qui s'adonnent à ce genre d'occupation, doivent en rêver la nuit où en faisant l'amour. Cela doit être comme une drogue qui permettrait d'échapper à la réalité malfaisante en attendant la mort, vu comme une délivrance. Je pense à Albert Camus et son mythe de Sisyphe. L'auteur en a conclu que l'on peut trouver un sens bénéfique à l'absurde. J'ai cherché dans quelques-unes de vos histoires, mais je n'ai rien trouvé de personnel qui puisse expliquer votre démarche. En tout cas, bravo !