J'ai reçu pour Noël des livres de M.A.R. Barker, dont Lords of Tsamra, dans le monde de Tékumel. Je craignais un peu que le roman ne m'emballe pas comme je suis souvent déçu par les fictions ludiques et la fantasy. Barker n'échappe pas complètement à ce que Eco appelle le "salgarisme" (mettre un petit exposé didactique à chaque apparition d'un élément de son univers), mais c'est assez pardonnable avec un monde aussi exotique que Tékumel. Et c'est assez distrayant pour ne pas se limiter à l'intérêt ludique.
Lords of Tsámra est un roman assez court (286 pages, format 15x22cm) qui se passe juste avant la Guerre civile entre les prétendants au Trône de Pétale (donc vers 2363?). Le héros habituel (qui était déjà celui des romans précédents, Man of Gold et Firesong), le linguiste Harsan, prêtre de Thúmis, se retrouve avec une expédition d'ambassade tsolyáni vers les îles Tsolei, loin au sud-ouest.
Tsolyánu est en effet en guerre contre le Yán Kór mais aussi en conflit avec le Mu’ugalavyá. Or l'Empire de Mu’ugalavyá est en conflit avec la Théocratie de Livyánu, qui est elle-même en train d'essayer d'envahir les îles Tsolei. Selon la régle que "l'ennemi de mon ennemi est mon allié", l'Empire du Trône de Pétale soutient donc l'invasion des îles par le Livyánu.
L'idée intéressante du roman est que le héros idéaliste Hársan hiTikeshmu (qui est un peu le Mary Sue du Professeur M.A.R. Barker, lui-même linguiste spécialiste de l'Urdu) n'est pas le centre mais qu'on adopte le point de vue d'un de ses rivaux tsolyáni dans l'expédition, Korrúkka hiKutonyál, prêtre de Ksárul (Clan de la Crainte Sombre, Khirgar, Société du Rideau Bleu). Cela rend les choses un peu plus amusantes en développant la perspective d'un cynique plus humain. L'histoire est une intrigue politique pleine de mystères à rebondissements. Barker imite finalement plus la structure d'un John Le Carré ou d'un roman policier que d'une fantasy habituelle [j'ai été un peu hyperbolique dans ma comparaison : l'intrigue se développe parfois un peu plus au hasard que dans une intrigue de Le Carré].
Dès le début, les primitifs de Tsolei proposent aux Tsolyáni de changer leur alliance contre le Livyánu, puis l'expédition diplomatique est victime d'un plan préparé par un Tinalíya (une race que je n'avais jamais prise au sérieux avant ce roman tant les dessinateurs les rendent assez inoffensifs). Comme on le sait déjà si on a lu le nouveau jeu de rôle Tékumel (la version de 2003), ces complots vont conduire à une terrible épidémie qui va dévaster le Livyánu. Il peut être difficile de suivre qui est vraiment derrière les complots, entre les Mu’ugalavyáni, la compagnie de marchands interdimensionnels de Dlash, Gidj & Fils, et la race nouvelle des Hokun, les êtres transparents qui vivent loin au sud de la planète.
Le Livyánu est censé apparaître exotique et mystérieux, même pour les autres habitants de Tékumel. C'est une théocratie totalitaire, dirigée par des Prêtres-magiciens et une police secrète (la Vrú'uneb) qui surveille tous les citoyens. Chacun y est tatoué et les tatouages qui couvrent le corps peuvent servir de carte d'identité assez détaillée, y compris les rangs dans chaque classe (les Livyánu ont des numéros de grade dans chaque classe). Voir notamment Tékumel p. 154 (qui résume beaucoup) et surtout Tékumel Source Book, II, 12-13, 43-44 & 51-52. Le pays est dirigé par le "Numéro Un Sur Un", Dumúz (Frère) Ásqar Gyardánaz, ‘Crosse Principale de la Gloire de Qame’él’, et un conseil des 13 Dieux Occultes de Livyánu et de la Vrú'uneb (qui a l'air d'être un peu le KGB ou la Gestapo).
Ces 13 dieux de l'ombre n'ont pas toujours d'équivalent dans le panthéon traditionnel de l'Empire du Trône de Pétale :
- Qame'él, chef du panthéon et dieu de la connaissance
- Celui dans l'Ombre
- Kirrineb, déesse de la fécondité et de la mort
- Vrusaemaz, dieu des enfers
- Guodai, dieu des guerriers et administrateurs
- Le Cornu aux Secrets
- L'Egaré de la Mer
- Quyo, maîtresse du tombeau
- Ndarka, funérailles et fertilité
- La Déesse Marine de Kakarsha
- Kikumarsha, Trompeur et sorcier
- Celui des Peurs
Cependant, dans le présent de Tékumel (après 2367), le Livyánu a été vaincu et ne peut plus représenter le même domaine mystérieux, ce qui est dommage.
Le roman a quelques illustrations pour visualiser les races inhumaines du sud (Tinaliya et Shen), une carte générale des Cinq Empires et deux cartes des cités de Livyánu, la cité interdite de Dlásh (siège du Syndic des Marchands et d'une corporation multi-planaire, Gij & Fils) et le port de Tsámra (la capitale, qui tolère des étrangers, mais dans un quartier fermé). Le livre est donc très utile pour toute campagne qui voudrait sortir de l'Empire du Trône de Pétale pour aller visiter ces théocrates tatoués de Livyánu.
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