jeudi 13 novembre 2008

Profession de foi et sécularisation



Cette longue interview d'Obama sur sa religion chrétienne me laisse un peu perplexe.

Je ne voudrais pas projeter trop mes idées d'athée virulent et supposer que parce que la croyance me paraît irrationnelle tout politicien intelligent ne pourrait que partager mes propres préjugés. Il y a toujours un danger dans la lecture d'une "écriture cachée" comme celle des disciples de Leo Strauss. Dans certains cas, c'est du bon sens (Hume est vraiment ironique et irréligieux malgré sa prudence, Hobbes doit être nettement moins chrétien qu'il ne le prétend dans certains passages qu'il dément ailleurs). Mais dans le cas d'un individu, et non d'une oeuvre close, nul ne devrait se poser en juge des consciences (même s'il est difficile de ne pas interpréter).

Obama insiste sur le fait qu'il est Chrétien, ses grands parents et sa mère étaient en gros des Chrétiens unitariens tolérants d'origine protestante (baptiste et méthodiste du Kansas).

Il n'a guère été influencé par l'Islam de ses aïeux kényans (son père était agnostique et n'a de toute façon pas eu d'influence sur lui si ce n'est par son absence). Il ne passa que 4 ans en Indonésie de 6 ans à 10 ans (67-71) et fréquenta deux écoles, une catholique et une pesentran à majorité musulmane (qu'il oublie souvent de mentionner, ce qui alimente les théories du complot de la droite insensée qui croit y voir un endoctrinement), mais il dit avoir suivi le catéchisme catholique. Il ne cache pas qu'il eut une certaine affection dans sa jeunesse pour Malcolm X (qui fut d'abord dans la secte très hétérodoxe noire Nation of Islam, avant d'aller vers un Islam sunnite plus universel).

Obama a une adolescence agnostique puis il se dit même dans l'interview "born again" quand il commence la politique à Chicago. Il redevient progressivement chrétien depuis les années 80 en rejoignant la Trinity United Church of Christ de Chicago. Mais on ne peut s'empêcher de trouver toujours son christianisme très peu "évangéliste", et presque déiste/rationaliste quand il dit qu'il voit Jésus comme une figure historique et un mentor surtout éthique (ce qui serait en gros la position du déiste Jefferson ou celle de la Profession de foi du Vicaire savoyard de Rousseau, Jésus comme Socrate, à condition d'abandonner les Mystères).

Même quand il dit qu'il prie souvent, il commente l'acte de prière plus comme une sorte de délbération morale ("trouver mon compas moral") que comme une expérience mystique. Il est pro-choix, parle de séparation de l'Eglise et de l'Etat (alors que son programme prévoit d'augmenter l'aide aux organisations caritatives religieuses, ce qui plaît beaucoup aux Eglises), du fait que les dirigeants ne doivent pas justifier leurs décisions par un Mandat divin (ce qui est une attaque directe contre Bush et la droite chrétienne) et qu'il est avant tout pour la Tolérance.

Il a une formule qui devrait aller de soi pour un Unitarien mais qui doit en fait horrifier de nombreux Evangélistes dans son oecuménisme : il ne peut pas imaginer Dieu condamner la majorité de l'Humanité à l'Enfer seulement parce qu'elle n'a pas "accepté Jésus comme son Sauveur Personnel" (la formule est devenue le seul Crédo des Evangélistes). Cela peut sembler raisonnable mais je doute que la plupart des Chrétiens, qu'ils soient calvinistes ou catholiques (en dehors du message oecuménique d'Assise), puissent accepter que leur Crédo est aussi optionnel pour le Salut par rapport aux Oeuvres. C'est une idée typiquement "unitarienne-universaliste".

Quand il cite ses héros, le Mahatmah Gandhi (vishnouiste tolérant), Lincoln (qui fut sans doute vraiment un Chrétien même si la question est controversée) et le Révérend King, on constate que seul le dernier est une figure vraiment d'un religieux chrétien, et encore que le Christianisme paraît avant tout à Obama comme une figure morale pour le combat des Droits civiques.

Une des grandes forces d'Obama est d'avoir su jongler sur la question religion/race aux USA. On oublie à quel point les dirigeants des mouvements noirs préféraient le Clan Clinton au début contre lui. Obama a dit qu'il n'était pas avant tout un Noir américain et s'est clairement opposé au Révérend Jesse Jackson sur ce point. Les attaques de Jackson contre lui puis son ralliement expiatoire furent d'ailleurs très positifs pour renforcer cette image du candidat post-racial. Ce fut son Sister Souljah Moment, mais en moins amer ou diviseur puisqu'il n'eut même pas besoin de répudier Jackson et qu'il put en tirer profit tout en le conservant à ses côtés.

De même, quand le public prit connaissance des "jérémiades" de son pasteur Jeremiah Wright (qui ne font souvent que reprendre pour l'Amérique ce que les Prophètes d'Israël et Juda disent sur Jérusalem, ville condamnée mais parce qu'elle est sainte), il sut admirablement transformer ce "problème" en une force. Il est vrai qu'il eut de la chance dans la chronologie : si cela était sorti plus tôt, les Clintons auraient pu le détruire dès l'Iowa et il aurait perdu les Primaires, et si cela était sorti plus tard, McCain aurait pu mieux l'utiliser contre lui avant qu'il ne puisse contre-attaquer avec son meilleur discours, A More Perfect Union.

En dehors même de la joie qu'on ressent devant un Président américain qui sait vraiment écrire et prononcer un discours, tout amateur de rhétorique politique, quelle que soit son idéologie, ne doit pas pouvoir s'empêcher d'admirer le fait que ce fut un Discours - et non pas simplement des petites phrases, clips, YouTube et slogans - qui joua ce rôle (même Frum, le rédacteur des discours de Bush, ne cache pas que dans la forme il fut très impressionné). Obama est l'un des meilleurs orateurs qui sachent utiliser un style qui puisse faire penser au talent de Lincoln.

Rétroactivement, ce fut l'un des moments-clefs (en dehors du contexte de la Dépression et les propres faiblesses de l'adversaire) où il sut non seulement désamorcer le piège qui aurait coulé sa campagne mais même le retourner, ce qui fut peut-être une raison pour laquelle McCain sembla si réticent à utiliser le révérend Wright (en dehors de quelques associations républicaines dans certains Etats).

ll se posa à la fois comme l'héritier du combat des Droits civiques et comme celui qui devrait l'accomplir en le surmontant, celui qui devait le "séculariser". Séculariser, transmettre du Régulier spirituel vers le Siècle mondain, comme le rappelle le philosophe Jean-Claude Monod, La querelle de la sécularisation. De Hegel à Blumenberg, 2002 est un terme ambigu qui prend la relève de la religion mais en la faisant entrer dans la politique. Cela reviendrait à ce que Hegel appelait une "Aufhebung" de la religion (dépassement dialectique mais aussi intégration), de l'Evangélisme aux Droits de l'Homme.

Obama se présentait comme la Génération de Josué après celle de Moïse. Moïse était Martin Luther King, mais en fait aussi Malcolm X, en une synthèse de ces deux opposés, le Chrétien de l'intégration et le Non-Chrétien de la séparation. Obama était celui qui arrive à la Terre Promise sur la Maison blanche, l'accomplissement des Prophéties dans la politique concrète, après le temps des Prophètes.

Cette expression faussement modeste ("Je suis sur les épaules des Géants") aurait pu être très dangereuse et relancer encore l'attaque de Messianisme arrogant ("Je ne suis pas un prophète, mais le prophétisé" - McCain n'était pas complètement paranoïaque en trouvant qu'Obama se comparait un peu au Christ après Jean le Baptiste). D'ailleurs la Génération de Josué est aussi une expression de la Droite religieuse comme passage de l'Eveil évangélique vers la Théocratie politique (et une association d'éducation religieuse fit même un procès en déclarant posséder la marque "Joshua Generation").

Bush II était un born-again, qui semblait sincère du moins dans la volonté de sortir de certains de ses troubles privés comme l'alcoolisme, mais il prenait ses distances vis-à-vis de son ancienne Eglise méthodiste, qu'il devait juger comme pas assez conservatrice. Il pouvait se permettre cette absence d'Eglise parce que les Protestants lui faisaient confiance (mais le vote évangéliste a représenté une part encore plus importante pour McCain dont ils se défiaient mais qui avait pris Palin pour leur plaire).

Obama savait qu'il ne pouvait se permettre une telle absence d'Eglise comme il était inconnu et exotique, et malgré les dangers d'une Eglise qui aurait paru trop "chrétienne de gauche", il sut en profiter pour sa carrière dans l'Illinois sans que cela ne nuise ensuite pour sa carrière nationale.

Son talent et sa chance furent de paraître assez inconnu pour représenter un vide dans lequel l'électeur pouvait se projeter (Hope & Change) mais pas assez inconnu pour en devenir inquiétant (la Crainte du risque était la stratégie choisie par la Campagne McCain). Au contraire, il sut paraître rassurant tout en appelant au Changement, contrairement à la prétendue "Rupture Tranquille" qu'essayait Sarkozy et qui restait anxiogène.

Add.

En parlant de "projection" interprétative, Stanley Fish, célèbre spécialiste d'herméneutique et de John Milton, voit dans le succès d'Obama un écho de Jésus dans le Paradis Perdu, victoire d'une sérénité surnaturelle sur le cercle vicieux des attaques personnelles. La comparaison avec Fred Astaire (ou Monsieur Spock) me parle un peu plus.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Ah oui, Fred Astaire...
Je n’y avais jamais pensé mas maintenant que tu le dis, c’est devenu frappant...
(J'aimerais assez qu'on me compare à Fred Astaire, ou, mieux encore à Gene Kelly, la grâce absolue.)
((Euh, comme je ne tiens pas tant que ça à ruiner toute prétention à la virilité, je précise que j'aime aussi beaucoup Steve Mc Queen.))
(((J'ai par contre renoncé à paraitre dans le coup...)))
((((moi moi moi moi !!!))))

Phersv a dit…

Oui, il a ce calme et ce sourire confiant. La tête de Fred Astaire lui vient d'ailleurs de son grand-père maternel Stanley à qui il ressemble en fait beaucoup.

Il n'est pas Gene Kelly mais il a quand même une certaine grâce.