mardi 19 août 2008

Film à 3 Euros



J'hésite : Seppuku ou La Maison et le Monde ?

Je penche pour le second, ma période nipponne étant un peu terminée.

Je sais, je pourrais aussi voir les deux, c'est vrai.

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Finalement, ce fut La Maison et le Monde (1984), un des derniers films de Satyajit Ray (1921-1992).



L'histoire est adaptée d'un roman de 1916 par le poète bengali Rabindranath Tagore (1861-1941).

Satyajit Ray, qui voulait adapter cette oeuvre de Tagore depuis plusieurs décennies, y superpose son habituel marxisme pessimiste (sur les classes dominantes déclinantes) à quelques morceaux de "comédie musicale" qui peuvent sembler de manière superficielle patriotique, même si le thème de l'indépendance nationale est brouillé par la question des luttes confessionnelles et d'un mélodrame sentimental.

Je n'ai pas assez de finesse pour avoir d'autres critères esthétiques que la capacité d'une histoire à illustrer des thèmes ou bien au contraire à réussir à s'alléger de la simple illustration. L'oeuvre semble avoir un bon camp, une victoire morale manichéenne (même s'il y a un renversement au cours du film), mais même dans la conclusion on peut se demander si les diverses parties ne sont pas renvoyées dos à dos. C'est une tragédie où on ne peut être libre sans tomber dans l'erreur mais c'est ensuite un coût irrémédiable.

Nous sommes au début du siècle, en 1907, juste après que le Vice-roi Lord Curzon ait divisé en 1905 le Bengale en une partie hindoue (à 80%) et une partie musulmane (à 60%) - les émeutes, notamment des Hindous, conduiront à la réunification six ans après. Rabindranath Tagore avait été un des militants contre cette partition.

On voit tout du point de vue de l'épouse, Bimala Choudhury.

Elle a épousé dans un mariage arrangé le Maharajah bengali Nikhi Choudhury et au début a tellement intériorisé les traditions qu'elle désire apparemment que son Monde se limite à la Maison, au gynécée / harem où elle doit être consignée en tant qu'épouse d'aristocrate.

Nikhi semble être un noble un peu velléitaire, voire vendu aux Britanniques, mais il est tellement occidentalisé qu'il est aussi un Réformiste, qui veut émanciper sa femme des conventions, et malgré elle.

Il la pousse à apprendre l'anglais (et il est lui-même complètement aliéné au luxe venu d'Occident) et à sortir du gynécée.

Ainsi, il la fait rencontrer son ami d'université, Sandip Mukherjee, brillant orateur, Dom Juan et militant nationaliste, partisan du swadeshi (le boycott des produits importés pour pousser l'Inde à l'indépendance et l'auto-suffisance).

Le Raja Nikhi semble généreux mais faible alors que le politicien Sandip a l'air pur et sincère. Rapidement, Bimala, libérée du gynécée, va tromper son mari avec le politicien swadeshi, attirée par l'Energie Nationale, par sa fougue et sa passion.

Mais on découvre que Nikhi s'oppose au Boycott Swadeshi en partie pour des raisons justifiables. Le Prince hindou dispose certes du luxe anglais mais montre que ses sujets, en majorité Musulmans et pauvres, n'ont pas les moyens économiques de passer aux produits nationaux, plus chers. Ainsi, les intérêts de l'aristocratie traditionnelle (un peu réformiste) s'allient plus au prolétariat agricole qu'à la bourgeoisie nationaliste.

A l'inverse, on révèle que le brillant Sandip est un opportuniste cynique et hypocrite, tout aussi aliéné au luxe anglais, qui parle d'unité nationale mais fomente des violences entre les Hindous swadeshi et les Musulmans. En bon démagogue, il ne se soucie pas des conséquences désastreuses qu'il est en train de semer et qui vont contribuer à aggraver la Partition (qui deviendra celle du Pakistan Oriental ou Bangladesh quarante ans plus tard). Bientôt les feux qui incinèrent les produits anglais au cri "Vive la Mère-Patrie" sont remplacés par d'autres buchers au cri d'Allahu Akbar.

Nikhi, avec une délicatesse rare (mais aussi une certaine irresponsabilité), refuse de chasser Sandip de son domaine parce qu'il veut que son épouse puisse faire librement son choix.



En plus de ce Triangle sentimental, on a donc la figure économique de la Mondialisation (l'impérialisme britannique n'est représenté que par les fétiches marchands et par la langue ou l'idéologie, pas par des soldats ; Nikhi pense que l'Economie-Monde profitera à long terme aussi aux plus pauvres alors que Sandip pense que les sacrifices à court terme permettront l'émergence d'une économie indépendante) des identités confessionnelles et sociales (les Musulmans pauvres contre la majorité hindoue), et l'Argent comme le nouvel élément central homogénéisant et amoral (Sandip a besoin d'absorber l'Argent accumulé de l'aristocrate Nikhi pour tout acheter, y compris l'impunité pour ses crimes de dissension).

La question de la Nation indienne est traitée de manière ironique. La militant nationaliste (qui fume en fait des cigarettes anglaises) insiste sur l'importance d'un slogan en disant que son modèle sera la Marseillaise française, prouvant qu'il est tout aussi "mondialisé".

Ce slogan est "Bônde Matorom" en Bengali, ou Vande Mātaram ("Prosterne-toi devant la Mère"), ce qui devint l'Hymne officiel de l'Inde.

C'est montré comme un Mantra aux pouvoirs quasiment magiques mais en même temps comme un piège mystique, un Opium de Fanatisme : le nationalisme importé d'Europe se superpose d'un Culte de la Shakti. La Nation est la Déesse (Devi, Durga), l'Energie féminine, ce qui exclut donc a priori déjà que les Musulmans et autres monothéistes puissent être des patriotes indiens. La formule même de "la Mère" contredit le discours d'unité.

La conclusion peut donc être une remise en cause des deux perspectives opposées du film : aussi bien le cynisme destructeur de Sandip (il parle d'Unité contre la division britannique, mais il ne fait que la nier) que l'idéalisme naïf et inefficace du noble Nikhi (qui parle d'Unité abstraite entre Krishnaïstes et Musulmans mais ne voit pas qu'il ne peut rien faire pour empêcher cette dissension, admettant son impuissance et sa contradiction).

Sandip a une scène caricaturale où il se décrit comme un salaud qui refuse le Dharma (il dit qu'il incarne le démoniaque Rāvaṇa) au moment même où il essaye enfin en partie de chercher la rédemption.

Nikhi, qui va se sacrifier pour le Dharma qu'exige sa classe de prince, se veut pur mais est conscient que sa volonté privée de garder l'amour libre de sa femme et être un bon ami n'a fait qu'exacerber la crise.
En cherchant à être un réformiste et à défendre la liberté, il a involontairement causé plus de violences que son père répressif et traditionaliste. On peut reconnaître un thème tragique typiquement hindou (même si le brahmane Tagore était plutôt un Déiste "Brahmo" non-traditionnel) : le héros qui choisit la voie de l'amour (Kama) risque ainsi de nuire à l'ordre et à la justice de son devoir (Dharma).

Cet échec parallèle est représenté par des Veuves en blanc, fantômes de traditions qui doivent elles-mêmes périr. Le film commence sur un spectre du passé aristocratique et se clôt sur une Veuve de l'unité avortée entre les confessions du Bengale.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

"Ce Blog redevient n'importe quoi." C'est pour ça qu'on le lit.

Phersv a dit…

Je l'espère en partie parce qu'il n'y a pas vraiment de Contrôle de Qualité. Et on sait bien la Loi de Sturgeon : 80% de tout est nul.